lundi 11 juillet 2011

Gorillaz - Plastic Beach ou "Comment faire avancer les choses en ayant un succès commercial"


Parmi les ineffables désirs qui zèbrent mon imagination foisonnante, nul n’est plus fort que celui de voir un jour renaître l’époque bénie où tout, dans la musique et ailleurs, restait à être inventé, où les convictions avaient encore le pouvoir de lever les masses, et je ne parle pas seulement des deux ou trois boudins mal besognées qui prétendaient défendre la cause féminine. En effet, il fut un temps, mes chers amis, ou les gens de vingt ans en avait encore dans la caboche et dans le pantalon. Les écrivains écrivaient, les peintres peignaient, les animateurs télé n’étaient pas nés. Je parle d’une époque qui semblait dorée et que les gens de vingt ans ou plus, dont je fais partie, n’ont pas connu mais regrettent pourtant amèrement. On peut alors se demander ce qui pousse ma génération d’embourgeoisés drogués, à la mélancolie passagère d’un temps qui ne leur a été que raconté ? Pour répondre à cette question, que je suis assez content de m’être posée, il suffit d’observer l’évolution dans la création musicale, entre autres.

Depuis les balbutiements des enregistrements sonores jusqu’à l’aire du digital et du néant intellectuel, la musique a évolué d’une manière prodigieuse passant du classique romantique (en gros) au jazz, puis au rock and roll et à la pop musique. Il va sans dire que les raccourcis pris ici sont dignes des schémas rhétoriques d’une Caroline Fourest. Néanmoins, force est d’admettre que la musique n’a eu de cesse d’évoluer au cours du temps pour finalement commencer à stagner dans les années 80 puis progressivement régresser vers d’infinie bassesses devant lesquelles un Coca équivaut à un grand St Emilion et où le porno se range parmi les films de genre… Bien que, les jours de solitude où mon regard se trouble devant quelques courbes généreuses, la bouche sèche et la main tremblante! je ne renâcle pas à l’idée d’attraper une bouteille de Cola et m’en servir un verre, je ne perds pas de vue les valeurs qui sont les miennes. Et quelles sont-elles ces valeurs ? Eh bien qu’en bons êtres humains que nous sommes, nous nous devons d’évoluer et non pas de régresser, que ce soit en musique, en politique ou en genre cinématographique quelconque…
C’est pourquoi j’ai choisi d’aborder aujourd’hui, l’œuvre de Damon Albarn, ex-Blur aujourd’hui reconverti en Gorillaz. La raison qui m’a poussé à le faire est le fait que dans la musique populaire actuelle (j’entends qui a du succès), Gorillaz est l’un des seuls groupes qui pousse le bouchon un peu plus loin et ose de nouvelles choses. Alors parfois, il se casse la gueule bien sûr. Mais parfois ça fonctionne…


Le doux son des vagues nous berce lentement avant que ne résonnent des cors, métalliques et graves comme la Mort. Les violons viennent ajouter une tension supplémentaire à l’atmosphère déjà dramatique qui nous enveloppe avant de dévier sur différentes tonalités pour en arriver sur un accord majeur surprenant. Celui-ci s’efface peu à peu jusqu’à paraître quasiment synthétique. Une basse étrange vrombit à laquelle se joignent des cuivres tendus annonçant le commencement réel de l’album et la surprise énorme qui nous attend. On est en moins de 2 minutes, passé à travers divers univers sonores et musicaux et le morceau qui démarre ici est probablement le dernier endroit où on pouvait imaginer atterrir. La basse et les synthétiseurs résonnent sur un rythme factice du plus bel effet. La voix de Snoop Dog s’ajoute au tout surprenant dans un mix brillant et envoutant. Le morceau s’emballe petit à petit. Les arrangements synthétiques ou pas se font à merveille et le flot et la voix de Snoop Dog sont la cerise sur le gâteau. Cette dernière seule termine ce premier titre alors que les instruments s’effacent lentement. C’est frais, c’est nouveau, c’est beau. Les genres et les sons se mêlent dans un ensemble jamais entendu qui place la barre très haut d’entrée de jeu… la suite est encore plus surprenante.

Des percussions d’orient retentissent puis une flûte et des basses viennent nous charmer, serpents manipulés et envoutés que nous sommes. Les cordes viennent accélérer le rythme et ne nous laissent pas le temps de comprendre où Damon Albarn a décidé de nous emmener cette fois. Les arrangements et le son sont hors norme, le thème, d’une rare complexité, s’emballe et on sent le tout s’enliser lentement dans un bruit grandissant jusqu’à ce qu’un rappeur londonien ne se fasse entendre et ne se lance sur une basse lourde et redondante, une batterie sèche et des claviers d’un autre temps. La redescente n’est apparemment pas pour tout de suite ! Le morceau est complètement bardé et l’instrumentation de l’introduction vient s’ajouter au morceau hip-hop pour conclure ce nouvel ovni de la plus belle des manières.

"Rhinestone Eyes" démarre moins fort que ses prédécesseurs. Une rythmique robotique aux sons étranges laisse place à la voix d’Albarn pour une ballade morbide dont il a le secret. Les sons sont froids au possible mais sa voix amène une certaine chaleur à l’ensemble jusqu’au réel départ du morceau après le break de batterie. Nous sommes plongés dans une musique urbaine lourde, chargée et froide comme toute ville. C’est effrayant, gris et pessimiste. Damon Albarn nous prouve une fois de plus qu’il est capable de faire du commercial intelligent, beau et critique ce qui n’est pas donné à tout le monde. On enchaîne sur "Stylo", disco morbide sur lequel Mos Def brille aux côtés du mythique Bobby Womack, celui là même de "Across the 110th Street", qui vient ajouter une touche soul à une ambiance robotique froide et calculée.


Un jingle d’outre tombe vient nous sortir du rêve froid et sale dans lequel nous avaient engouffrés les deux titres précédents. La batterie, plus humaine et moins robotique attaque avec force ce "Superfast Jellyfish". La basse et deux rappeurs entrent dans ce qui est un pur titre hip-hop old school, groovy et funky jusqu’à l’entrée des synthés bizarroïdes et au refrain psychédélique. Ce titre est frais et semble presque joyeux après la noirceur que les morceaux précédents ont propagé sur nos âmes pures… Le son paisible de "Empire Ants" et ses arrangements aériens viennent accentuer la respiration entamée précédemment. On a droit ici à une jolie ballade sur fond de sons profonds et de plus en plus artificiels au fur et à mesure qu’on avance dans le morceau. La voix d’Albarn apporte là encore la chaleur nécessaire à faire vivre cette chanson comme il se doit. On est ensuite vite rattrapé par les sons tout droit sortis d’un film de zombies disco et la chanson change complètement d’allure. Une voix féminine prend le relais, la rythmique se veut plus puissante et solide et des nappes de synthé peuplent l’ensemble de manière remarquable.


Une séquence de morse donne le rythme de "Glitter Freeze" et on part à nouveau dans un son électro lourd et frénétique digne d’un bon vieux Goldfrapp. Il y a dans tous ses sons quelque chose d’incroyablement kitsch et de frappant. On a l’impression de revivre une époque révolue sans éprouver de mélancolie. C’est peut être là un moyen pour Albarn de nous montrer que le futur et le passé sont intimement liés ou bien de pointer du doigt le manque criant de créativité de la plupart des artistes de notre époque qui passent leur temps à nous faire du neuf avec de l’ancien à tel point qu’on ne discerne plus bien le réchauffé de la grande cuisine… Quoi qu’il en soit, "Glitter Freeze" nous replonge dans l’atmosphère oppressante et noire du début de l’album, dans la folie urbaine ou les murs de béton défilent sans jamais finir. Et pour immédiatement contraster avec cette main de fer et de verre qui semblait se refermer sur nous, "Some Kind Of Nature" nous frappe en pleine face avec son piano authentique  et la voix éraillée d’un Lou Reed jamais fatigué. Mais ne nous emballons pas ! Les sons électroniques et robotiques entrent un peu plus tard et le tout se mêle étrangement et fort habilement. La rythmique piano et la voix de Reed apportent une légèreté bienfaitrice à l’ensemble lourd et chargé de sons divers et variés.

On repart dans le kitschissime avec "On Melancholy Hill" qui n’est pas sans rappeler les plus beaux génériques de manga des années 80. On est partagé tout au long de l’album entre le sentiment que cette musique est totalement ridicule et sonne complètement creux et ça serait le cas sans le génie d’Albarn, son sens de la mélodie aiguisé et ses arrangements brillants qui font qu’au final on se laisse porter et charmer par le joueur de flûte… "Broken" nous entraîne sur des chemins similaires. Entre musique de film d’horreur kitsch et electro pop brillante, la palette de couleurs et d’humeurs est une nouvelle fois large ici. Un rythme indifférent nous guide à travers les douces nuances dépeintes par les arrangements et la voix chaleureuse de Damon Albarn. Ce "Broken" est une douceur jouissive au milieu de la jungle urbaine qui nous entoure depuis le début.

Cependant, l’interlude est de courte durée. D’étranges bruits de tuyauterie mêlés à ce qui semble être le bruit d’entrailles robotiques servent de support à Mos Def qui s’élance dans un flot rythmé et dénudé de toute mélodie. L’atmosphère est lourde et sombre jusqu’à l’arrivée de premier éléments mélodiques en la présence de bips divers. "Sweepstakes" continue d’évoluer de la sorte jusqu’à l’entrée de la batterie et des cuivres. On a à faire une nouvelle fois à une musique complètement bardée mélangeant un peu tout et n’importe quoi et qui, je dois bien l’avouer, me laisse aussi perplexe qu’une chaude après-midi d’été, trop arrosée de rosé frais ou que la lecture de quelques pages vomies par BHL… "Plastic Beach" démarre ensuite sur un thème proche d’un Western classique avant de partir sur un rythmique disco et des arpèges langoureux. Là encore, le kitsch a pris le dessus j’en ai peur. Tous ces sons s’assemblent moins bien que de coutume et l’atmosphère qui en résulte est assez brouillonne et encombrée. Il semble que le niveau affiché a quelque peu baissé depuis quelques titres, ce que "To Binge" s’empresse de confirmer. On a viré dans une pop acidulée peu efficace et assez vide malgré son ton ironique évident.


Alors qu’il semblerait que nous soyons désormais perdus dans une forêt d’arbres en plastique et que le factice nous encercle, le son de la mer et des vagues entendues dans l’introduction réapparaissent et lancent "Cloud Of Unknowing". Un murmure résonne jusqu’à ce que la voix de Womack ne résonne à nouveau sur des synthétiseurs cosmiques. Alors là, on frise carrément les dangereuses 80s avant que les cordes ne viennent donner un tout autre aspect à la complainte poignante du vieux Bobby. Une guimbarde étrange vient nous tirer de cette rêverie troublante, rattrapée ensuite par une rythmique et des arrangements dignes de l’entrée en matière de l'album. "Pirate Jet" renoue avec le niveau affiché au départ. On revient à quelque chose de beaucoup plus sérieux malgré les sons kitschissimes toujours présents. Le tout s’efface petit à petit et conclut notre voyage dans le monde étrange de Plastic Beach.

Ce qu’il faut retenir ici malgré les quelques inégalité inhérentes à presque tout album, c’est que Gorillaz et son créateur nous ont pondu un opus réfléchi et profond où le travail sur le son et les arrangements d’un autre monde constituent une réelle bouffée d’air frais dans le paysage musical nauséabond actuel. Certains titres sont autant de succès commerciaux et d’ovnis musicaux à l’originalité et à la production irréprochable. Toutefois, ce Plastic Beach nous pose une question cruciale : le futur de la musique passe-t-il par les innovations technologiques et la fin des instruments traditionnels ? Vu le bijou qu’on a sous les yeux, on serait tenté d’être optimiste. Cependant, le dernier opus en date du bonhomme, The Fall, d’une qualité bien moindre, produit exclusivement sur iPad et Garage Band, se veut rassurant pour le futur de la musique et des instruments traditionnels.

J

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