lundi 1 août 2011

Bob Dylan - Highway 61 Revisited ou "Comment passer d'idole à ennemi public n°1"



Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, dans le monde de la musique moderne, Bob Dylan a créé l’exploit et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, et je suis assez souvent surpris de constater que peu le savent : Dylan est VIVANT ! Il n’est pas mort d’une overdose dans les années 80 ou étouffé dans son vomi dans les 70s. Le Zimm’ a survécu à toutes les décennies meurtrières du siècle dernier et de celui-ci. Ensuite, il est important de savoir que le troubadour maigrichon a suscité dans les années 60 autant voire plus d’engouement que les quatre Beatles réunis. Seulement, à la différence de ceux-ci, Zimmerman n’a jamais été un produit et a toujours refusé de se conformer aux règles imposées par les maisons de disques ou les médias. Il est resté fidèle à lui-même du début à la fin, et fort lui en a couté. Après trois albums en deux ans, Bob Dylan est devenu une icône de la musique folk, le symbole d’une génération américaine alors en pleine mutation. Les jeunes commencent enfin à s’exprimer et à protester contre le paternalisme puissant imposé par leurs ainés au début des années 60 et le folk est le vecteur idéal de cette rébellion. Un jeune gringalet d’une vingtaine d’années seulement surprend tout le monde par sa maturité et ses textes puissants et devient en quelques années la figure de proue d’une révolution en marche. Seulement voilà, la figure en question voit son succès grandir de façon vertigineuse sans trop avoir à faire quoi que ce soit. Lui-même ne se considère que comme un entertainer, un chanteur, et non comme un trublion. En 1964, il décide de commencer à introduire des instruments électrique et un groupe à sa musique folk et se met à écrire des chansons plus imagées mais au sens moins idéologique (traduisez : il se drogue). Le succès ne le quitte pas et il enfonce définitivement le clou l’année suivante avec ce Highway 61 Revisited.

Lors de sa sortie et de ses tournées, l’album donne naissance à des réactions jamais vues auparavant. Les gens sont outrés, les jeunes se sentent trahis, certains crient au scandale, insulte Dylan lors de ces concerts, le traitent de « Judas », d’autres sont carrément en larmes à la sortie de la salle, d’autres encore le menace de mort. En l’espace de deux ans, Dylan est passé de messie à ennemi publique le tout en écrivant quelques chansons. Bob est accusé de n’avoir aucune considération pour son public, de se moquer ouvertement de ses auditeurs et des journalistes quand il est en fait sincère et ne fait que retourner la bêtise des gens contre eux même. Pour preuve les interviews publiques de cette époque où un Zimmerman aux cernes grandissantes s’amuse tranquillement avec des journalistes agars, plus idiots les uns que les autres. A ceux qui essaient désespérément d’interpréter ses chansons, d’en déceler un sens idéologique caché, il ne répond jamais vraiment et laisse planer le doute sur ses textes. Il joue, il se cache, se protège…peut importe. Ce que Dylan fait ici c’est en fait se contenter de rester à sa place. Il n’est qu’un chanteur, un poète, un musicien. Il n’est le symbole de rien du tout ni le représentant de personne.


Un coup sec rompt le silence suivi en trombe par l’entrée en scène de tous les instruments en même temps. Les indicateurs de volumes sont au maximum, tous les musiciens martèles leurs accords comme des damnés et un ras de marée électrique nous emporte sans indication au préalable. Le chaos à l’état pur jusqu’à l’arrivée du maître des lieux. Dylan entre avec assurance et entonne son chant guerrier avec fougue. Pour ceux qui s’attendaient à un retour vers une folk épurée, feu leur prophète ne prend pas de gants et leur rie même carrément au nez. On assiste à la naissance même d’une nouvelle ère dans l’histoire, la pierre angulaire du Rock & Roll est posée devant nous et le pire c’est que son créateur a déjà l’air d’être passé à autre chose. C’est un flux violent qui passe par nos oreilles, se répand dans nos veines et retourne notre cerveau ramolli. La musique est brute mais les paroles d’une rare finesse et d’une force jamais égalée propulsent ce "Like A Rolling Stone" au rang de classique instantané. L’harmonica s’éteint lentement et alors qu’on croit la vague passée, Dylan en remet une couche tout de suite. La rythmique acoustique et entrainante de "Tombstone Blues" ne nous laisse aucune chance. On est tiré vers cette danse folle et insalubre et c’est le sourire aux lèvres qu’on constate que tout le monde suit. Là encore, Bob est à son paroxysme. Il brille de mille feus et mène ses troupes tel un gourou. Il tournoie et déverse son flot de paroles directement dans la gorge des badauds attroupés autour de lui. Il n’y là aucune nuance. L’intensité règne du début à la fin et ne nous lâche pas un instant. Le répit ne sera trouvé que dans la tombe.

Le rythme se calme quelque peu sur la ballade suivante. La rythmique bluesy et la guitare acoustique de "It Takes A Lot To Laugh, It Takes A Train To Cry" relâchent un peu la pression mais Dylan est toujours là pour nous guider à travers ce voyage indescriptible. Le piano lugubre résonne toujours avec force, comme si un squelette était à la baguette et faisait avancer ses troupes avec fracas. La guitare acoustique est ensuite laissée de côté et on repart à fond les ballons dans un train lancé à toute vitesse. Le volume sonore de "From A Buick 6" est presque insoutenable. Le brouhaha qui s’empare des lieux est incroyable et a presque l’air d’une punition jouissive imposée par le maître de cérémonie qui semble vouloir donner son dernier souffle à harmonica.


Le piano retenti alors une nouvelle fois. Macabre et froid comme un cadavre, il s’impose comme le décor d’un tribunal kafkaïen sans issue. Une orgue lugubre sonne au loin puis le juge entre, nous toise de haut en bas, rie et s’élance dans son verdict implacable. L’accusé a beau regarder autour de lui, chercher un réconfort dans les yeux qui le dévisagent, il est seul et bien seul face à cette musique venue d’un autre monde et à son juge bien trop malin. "Ballad Of A Thin Man" s’en prend à nos peurs les plus obscures, nos hontes les plus intimes et les étale devant tout le monde. C’est un cauchemar devenu réalité et Dylan semble être le leader de cette révolution menée par notre subconscient. Chaque mot, chaque vers et chaque couplet semblent vouloir tout et rien dire à la fois. Ce titre est surement l’un des plus marquant et des plus puissant qu’il m’ait été donné d’écouter. Il a l’air complètement irréel et pourtant si personnel qu’il en est effrayant. Bob Dylan nous pointe du doigt dans la foule et s’adresse à nous d’une manière saisissante. Ce dernier nous rassure toutefois avec le "Queen Jane Approximatively" qui suit. Cette ballade plus terre à terre est menée de bout en bout par l’orgue et toute la clique d’instruments réglés au maximum de leur volume sonore. Dylan chante avec verve et dédain une ode à laquelle il est difficile de résister. Il nous charme pour mieux nous rejeter tout de suite après. Après nous avoir retourné l’âme avec le morceau précédent, il nous met en évidence la futilité d’essayer de saisir le sens des choses quand la vie est de toute façon complètement incompréhensible. C’est tout simplement jouissif.


Le titre phare commence presque être une farce. Avec ce sifflet ridicule, "Highway 61 Revisited" démarre sur les chapeaux de roues et le rythme ne faiblira pas tout au long du titre. Les notes glissées à la  guitare électrique semblent être les voitures défilant à toute allure de l’autre côté de la route. La rythmique blues immuable sert de support au troubadour devenu fou depuis le début de cet album. La tension baisse ensuite d’un cran sur "Just Like Tom Thumb’s Blues". Le son est cette fois un peu plus fin. La batterie et le piano sont en retrait tandis qu’un clavier Rhodes remplace l’orgue vacillante des titres précédents. Cette ballade est tout simplement magnifique, un moment d’une rare beauté parmi la force brute à laquelle nous avons eu droit depuis le début. Les sonorités annoncent déjà l’album à venir : le mythique Blonde On Blonde. Dylan chante ici à merveille, nuance même quelque peu ses mélodies. Les paroles ironiques nous ramènent toutefois à la réalité. Bob nous montre là encore qu’il est capable d’écrire des chansons puissantes et belles tout en les arborant de mots d’une poésie et d’une force hors du commun.

L’album se termine sur un "Desolation Row" acoustique de plus de dix minutes. Le troubadour nous raconte son histoire de passage et nous entraine doucement dans des terres inconnues parmi des personnages étrangement familiers. La musique se marie à merveille avec les mots toujours plus beaux d’un Dylan à son apogée.

A cette époque, Bob Dylan semble habité, traversé par un flot de créativité intarissable et il s’en donne à cœur joie. Il pond album sur album, réinvente la musique et les règles artistiques à tout instant. Il possède en permanence un pas d’avance sur ses auditeurs et sur les journalistes. Musicalement, il n’y a rien de complexe dans ce qu’il fait mais ça marche. Sa musique est puissante au point qu’il sera repris par les plus grands (Hendrix le premier). La légende est en marche et rien ne sera plus jamais comme avant.

J

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