dimanche 18 décembre 2011

David Bowie - The Rise and Fall Of Ziggy Stardust ou "Comment atteindre l'orgasme musical"





David Bowie a cela de fascinant qu'il semble parcourir les décennies sans être marqué par le temps. Serait-il, à l'instar d'Iggy Pop, de Mick Jagger ou de Michel Drucker, de la célèbre race des Immortels? Sa carrière est telle une comète brillante, un trait de peinture scintillant marquant la voie lactée pendant une période donnée, puis, disparaissant totalement à travers l'espace froid et vide, loin de nous. Et nous, d'avoir le sentiment, la certitude absolue, que cet astre filant reviendra nous saluer, que ce n'est qu'une question de temps. En fait, la carrière de Bowie alterne entre des périodes fastes, alliant succès critiques et commerciaux, et des moments d'oubli, de toxicomanie, de vide artistique, de paranoïa et de propos douteux. Ziggy Stardust fait parti de cette première période bénie qui a vu Bowie enchainer trois albums tout simplement monstrueux. Hunky Dory en 71, Ziggy Stardust en 72, Alladin Sane en 73.



En effet, en 1971 et après 3 albums au succès mitigé, Bowie va faire 3 choix importants pour sa carrière. D'abord il change de label et rejoint RCA records, l'un des 2 plus importants labels de l'époque, avec Columbia Records. RCA, c'est le label découvreur de talent qui lança Elvis, Jefferson Airplane, Diana Ross ou… The Strokes.
Ensuite, il découvre l'existence d'un objet étrange et un peu mystérieux, le piano.
Enfin, il découvre l'existence d'un objet mystérieux et un peu étrange, Mick Ronson. Un guitariste ma foi pas dégueulasse avec qui il collabore pour la première fois sur l'enregistrement de The Man Who Sold The World, repris par Nirvana en 1993.

Ces trois rencontres vont donner naissance à un beau bébé, Honky Dory, premier d'une belle fratrie. Il connait un succès critique et commercial sans précédent dans la carrière de David Bowie. Bowie est bon, Bowie plait, Bowie innove. Mais David cherche encore à se positionner dans le milieu assez concurrentiel  du Rock des 70s... Il se cherche une identité, une personne autour de laquelle il va commencer à construire sa légende. Les critiques sont là, tapis dans l'ombre, les crocs acérés, prés à le dévorer ou à l'encenser : tout le monde attend une confirmation. Bowie va donc faire preuve d'une grande intelligence commerciale, d'une dose d'opportunisme, et d'un sens artistique hors du commun pour imaginer un album concept centré autour d'un personnage qu'il jouera lui-même : Ziggy Stardust. Ziggy est un extra-terrestre androgyne et messianique venu faire prendre conscience aux humains que la fin du monde est pour bientôt (5 ans exactement), et leur proposer la seule chose qui pourra les sauver: la rédemption. A travers cet histoire universelle, et ce personnage attachant et choquant, Bowie va pouvoir toucher au coeur les mélomanes, les jeunes, les vieux, les filles, les homosexuels, les travestis, les drogués, et bien d'autres. Véritable coup de génie marketing et artistique, The Rise and Fall Of Ziggy Stardust est considéré unanimement comme l'un des albums les plus marquants de sa génération.

Une fois n'est pas coutume, le disque débute débute par un titre qui est pour moi le chef d'oeuvre absolu de cet album exceptionnel.


Dans "Five Years", Ziggy Stardust, tel un prophète sorti du ciel, annonce à l'Humanité entière qu'il ne lui reste que 5 ans à vivre. Le ton est posé. La chanson est une montée en pression lente et nerveuse. Monumentale introduction d'un album qui restera dans l'Histoire, sa structure atypique construit d'abord sur une introduction où Ziggy le prédicateur nous annonce l'apocalypse approchant, puis une deuxième partie qui n'est ni un refrain, ni un complet, mais plutôt une conclusion dramatique et explosive qui nous achève en nous laissant mourir dans un torrent d'émotions fortes. Notre état est, semble-t-il, proche de la transe. Bowie nous tient par la nuque, il lui suffirait d'un souffle, d'un claquement de doigt, pour provoquer ce que j'appelle communément un orgasme musical. Passé cet ouragan, nous abordons "Soul Love".
Cette chanson parle des différentes formes de l'amour, la nature inévitable de chacun et les relations qui unissent ces formes d'idylles: Stone Love (l'amour pour ceux qui sont partis), New love (l'amour romantique), et Soul Love (l'amour spirituel et religieux).
Ce titre, à la fois lancinant, doux et puissant, utilise de manière magistrale un saxophone et d'autres d'instruments à vent qui donne une chaleur à l'ensemble extrêmement bien arrangé. L'histoire de Ziggy Stardust, extra-terrestre androgyne et messianique, reprend avec "Moonage Daydream". Bowie reprend le fil de son histoire et nous annonce clairement que Ziggy n'est pas venu sur terre pour sucer des pastilles Vichy. Non, il est là pour nous foutre un bon un coup de pied au cul et nous faire prendre conscience de notre mortalité à nous, pauvres terriens. En témoigne ces quelques lyrics: "I'm the space invader, I'll be a rock 'n' rolling bitch for you!". Du grand Bowie, surtout quand s'annonce le solo de guitare final, simplement monumental. Ce dernier, accompagné de sa voix distordue jusqu'à la moelle, est du genre à vous faire partir loin, très loin. Passage sublime d'une guitare qui se fait de plus en plus lointaine mais de plus en plus enveloppante.

Il est assez rare que toutes les tracks d'un album tutoient la perfection.


C'est le cas de l'objet que nous avons en main. Nous enchaînons avec un des titres les plus marquant de l'oeuvre de Bowie: "Starman". Tous l'ont vu brièvement, tous l'ont senti quelques secondes, filant à travers les étoiles, cet énergumène scintillant.  Ziggy Stardust essaie de contacter la jeunesse terrienne, pleine d'espoir mais maudite sur Terre par le milieu pourri qu'est la radio. Cette homme venant du ciel promet la rédemption à cette jeunesse désabusée, manipulée par les médias de masse. Mais notre sauveur a peur. Peur de se crasher, peur que le monde ne soit pas près à recevoir son message. Poursuivant l'histoire de cet album concept, Bowie nous dévoile un peu plus les facettes de la personnalité de Ziggy et notamment ses peurs, ses faiblesses.
Après "It Ain't Easy" qui au regard des thèmes abordés ne semble pas avoir de rapport avec l'histoire de Ziggy, nous reprenons l'épopée avec "Lady Stardust" démarrant la side B du vinyle. Ce titre est considéré comme un hommage à Marc Bolan, icône glam rock des 70s, mort à 30 ans. Sur ce morceau le piano domine globalement l'ensemble et réussit à donner un ton grave et triste à la chanson.
"Hang On To Yourself" adopte un style plus rock 'n' roll: compact et nerveux. Ce morceau m'a fait penser à la puissance des Clash. En avance sur son temps, Bowie distille dans ce titre ce qu'on pourrait se risquer à appeler une forme de Punk music.



Le riff de "Ziggy Stardust", probablement l'un des plus connus du monde, est aussi l'un des plus beaux. Racontant le début de la chute inéxorable - et annoncée - de Ziggy Stardust, qui finit par exploser en plein vol, à force de trop tutoyer les Soleils. La voix de Bowie sort de nul part pour nous raconter, au passé, la vie et les illusions de Ziggy. David Bowie tue littéralement sa création sur ce titre, il le fera artistiquement 1 année plus tard, dépassé par la notoriété de sa créature.
En guise de dessert, un titre plus décalé survient. "Suffragette City" est une leçon de Rock a faire coucher toutes les soit-disant rock-star d'aujourd'hui. Hommage au mouvement féministe anglais se battant pour l'égalité des sexes et notamment le droit de vote des femmes. On enchaîne avec "Rock 'n' Roll Suicide". En ce qui concerne les lyrics, on peut noter que, bien que Bowie ait suggéré Baudelaire comme sa source, les paroles «Time takes a cigarette ...» sont quelque peu semblables au poème «Chants Andalous" de Manuel Machado: "La vie est une cigarette / Cidre, le frêne et le feu / Certains s'empressent de la finir / D'autres la savoure» Une autre influence assumée cette fois-ci est celle à Jacques Brel pour l'exhortation  «You're not alone" "références à la chanson de Jacques Brel" Tu n'es pas seul » qui est apparu dans la comédie musicale de Jacques Brel "Vivant et bien vivant à Paris". 
Ce titre prend la forme d'un râle lent et dramatique, et conclut l'album de manière magistrale.

Que dire finalement après cette claque musicale et artistique que nous a infligé Bowie et son alter égo Ziggy? On ne peut que rester époustouflé par la qualité de ce disque, qui est souvent considéré comme le meilleur disque de sa décennie, à juste titre. Quel concentré de talents, d'éclectisme, d'imagination, d'innovation, de génie dans cet album…intemporel.

V.

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